C’était il y a un an. En novembre 2023, l’Etat et EDF annonçaient avoir conclu un accord sur le futur système de régulation des prix de l’électricité en France. Le but : protéger les consommateurs de la volatilité du marché, en contrôlant une partie des tarifs de l’énergéticien historique.
Le mécanisme devait être inscrit dans la loi dès janvier. Seulement voilà : onze mois et deux remaniements plus tard, ce n’est non seulement toujours pas le cas, mais une censure du gouvernement Barnier pourrait à nouveau tout percuter. Au risque d’abandonner la construction des tarifs à la logique du tout-marché, alors que le système d’encadrement des prix par l’Etat se termine fin 2025.
« Plus aucune certitude »
Les trois ministres Marc Ferracci (Industrie), Agnès Pannier-Runacher (Ecologie) et Olga Givernet (Energie) devaient organiser ce jeudi une réunion sur le sujet, avec plusieurs parties prenantes. Parmi les invités figuraient EDF, TotalEnergies, Engie, ainsi que des fédérations de fournisseurs et des représentants d’industriels électro-intensifs. L’idée était de leur présenter officiellement – et pour la première fois – l’accord, et d’avancer sur sa mise en œuvre.
Si les motions de censures du Nouveau Front Populaire et du Rassemblement National, débattues demain, font tomber le gouvernement, cet échange n’aura vraisemblablement pas lieu.
« Il n’y a plus aucune certitude à cet instant. C’est une réunion politique qui ne pourrait pas être présidée par l’administration en cas de gouvernement démissionnaire », souligne un lobbyiste du secteur. « Nous sommes complètement suspendus à la décision de demain. Pourtant, nous nous trouvons à un moment clé pour décider des futurs prix de l’électricité », glisse un fournisseur d’énergie invité à l’événement.
Partager la rente nucléaire
Les enjeux sont effectivement immenses : il s’agit de décider comment les Français pourront bénéficier de la rente nucléaire, c’est-à-dire des 56 réacteurs d’EDF dont les coûts ont été en partie amortis. Et ainsi « préserver, pour l’ensemble des consommateurs, le bénéfice de l’investissement » dans ces installations, « par des prix et des tarifs reflétant de manière cohérente la réalité industrielle du parc », pouvait-on lire en janvier dans le projet de loi « Souveraineté énergétique » du gouvernement. Ce que « ne reflètent pas les prix observés sur les marchés européens de gros de l’électricité », précisait alors le texte.
Pour ce faire, il existe aujourd’hui l’ARENH, pour Accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Depuis 2011, ce mécanisme oblige EDF à vendre une partie de sa production (100 térawattheures) à 42 euros du mégawattheure, soit un tarif très bas qui ne reflète plus ses coûts de production. Largement décrié par l’électricien historique, le dispositif a néanmoins protégé – en partie – les consommateurs pendant la crise. Mais il tirera sa révérence fin 2025, en vertu de la loi de 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME).
Le calendrier se resserre
En novembre dernier, l’accord Etat/EDF devait donc poser d’urgence le cadre « post-ARENH ». Mais plutôt que de renouveler ce mécanisme, celui-ci laissait EDF définir largement ses prix de vente en fonction de ceux du marché. Avec, cependant, une ponction des profits au-delà d’un certain montant. Pour réguler les tarifs, la puissance publique devait intervenir s’ils dépassaient 78 à 80 euros le mégawattheure (MWh) en prélevant la moitié des bénéfices après ce seuil, et 90% au-dessus de 110 euros le MWh.
Inscrit dans le projet de loi « Souveraineté énergétique », celui-ci a été dynamité, comme l’ensemble du texte, lors du remaniement de mi-janvier. Et renvoyé au projet de budget, finalement présenté par le gouvernement Barnier après les élections anticipées de juillet…Lequel se trouve donc à nouveau menacé, malgré un calendrier qui se resserre.
« Nous attendons une décision depuis trop longtemps. On ne peut pas indéfiniment laisser les Français, particuliers comme professionnels, dans l’attente sur le sujet », glisse Julien Tchernia, fraîchement nommé président de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE).
« Ca ne peut pas être éternellement reporté. Si le gouvernement est censuré, il faudra une loi d’exception pour décider rapidement du cadre post-ARENH », ajoute un connaisseur du dossier. Ou bien « renoncer » à l’idée de partager la rente nucléaire, en « laissant complètement faire le marché » dès 2026. Tic, tac…